Hippie Hourrah
À bien des égards, c’est la musique que l’on entend parfois après s’être cogné la tête. Un mandala de son
vaporeux. Comme pour les mots que l’on tente de lire en rêve, quelque chose nous échappe : une lettre en
moins, en trop, à l’envers, inconnue, incongrue. Ici, les certitudes se fracassent en éclats de doutes :
guitare ou cithare ; moderne ou ancien ; fruit de l’orfèvrerie ou bien du hasard ? Hippie Hourrah était cette
chanson que Jacques Dutronc avait écrite pour se moquer des «enfleurés» qui essaimaient dans ses
plate-bandes. Caustique morceau de vertige à s’envoyer en 45 rpm ou sur cube de sucre. Échappé de la
bouche de ce dernier – un fumeur de havane ne la ferme jamais -, le mot s’est fait chair, a pris corps,
roulant d’une fange à une autre dans le marécage éthylique des soirées, petit bonheur caché sous des
haillons de lumière et quelques barbes. On lui promettait mondes et merveilles. Puis les murs ont avalé le
soleil. Tout est allé très vite, ensuite. Ils étaient trois, quatre, cinq ou plus – Marinel Abas, Miles Dupire et
Gabriel Lambert. Il y avait des fleurs et de la fumée, aussi des basses et des synthés. Il y avait ce chanteur
en posture de l’arbre, croisé autrefois en costume d’Adam (d’après la Chute) au sein des Marinellis. Il y
avait ces Jésus des Bermudes, trouvés chez Anémone et Elephant Stone, et leur Golgotha de
réverbérations. Et rien sur scène ne sonnait réellement comme ce que l’on y voyait. C’était comme si ce
mot que l’on peinait à lire en rêve s’était offert un orchestre de chambre pour chanter ses louanges dans
un bourdonnement de choeurs psychédéliques, répétant un mantra à l’envers. Et dans la voûte céleste, un
écho résonnait : Hippie Hourrah, Hippie Hourrah…